Mgr Benoît Rivière, évêque d’Autun, Chalon et Mâcon, est interrogé sur le site de la CEF :
Connaissiez-vous déjà ce diocèse avant d’y prendre en 2006 vos fonctions d’évêque ?
Non. J’étais venu seulement quelques fois à Taizé, à Mazille et à Paray-le-Monial. Mon grand-père Edmond Michelet venait se ressourcer auprès des frères de la communauté de Taizé dans les années 60. Je connaissais, pour ma part, le frère Luc avant son entrée chez les frères. Je dois dire que j’ai toujours été profondément heureux de conduire dans ce lieu de réconciliation des groupes de lycéens et d’étudiants. Ayant appartenu à la Fraternité Monastique de Jérusalem, j’ai aussi passé des temps communautaires au carmel de Mazille, y vivant des expériences marquantes de ressourcement, collaborant aussi ponctuellement aux travaux agricoles avec les carmélites. Ce à quoi je peux ajouter que j’ai aussi participé avant 2006 à quelques sessions du Renouveau à Paray-le-Monial. Mais passer de Marseille à Autun a représenté un saut important dans ma vie. J’y suis venu un peu comme Abraham, mais sans famille, sans troupeau… répondant à l’appel qui m’était fait. Bien sûr, c’est une responsabilité à laquelle j’étais préparé en ayant été évêque auxiliaire à Marseille. Ce passage dans le diocèse d’Autun s’en est suivi d’une grande joie qui dure toujours !
Vous êtes né à Brive, vous avez été en insertion pastorale à Marseille. Quels ont été vos impressions d’homme du Sud en arrivant dans cette région et ce diocèse ?
Le rythme n’est pas le même. La dominante rurale de la Saône et Loire fait que les rencontres ne se vivent pas selon le même mode. Ici, on prend le temps, davantage que dans les grandes villes. J’ai beaucoup aimé Marseille. Ici, j’apprécie ce qu’on pourrait appeler « le sérieux du labeur obscur ». Si dans le sud, on exagère parfois les marques d’affection, ici, on pourrait parler d’un cœur caché et même très caché derrière une certaine rudesse. Bien sûr, la population y est également nettement moins métissée qu’aux abords de la Méditerranée ; le risque existe de s’installer dans une forme de repli sur des habitudes ancestrales. La Saône-et-Loire compte de très nombreux petits villages et un préfet m’a dit un jour que le défi était surtout de parvenir à faire travailler les gens ensemble.
S’agissant du diocèse, c’est évident qu’il dispose de moyens très différents de ceux du diocèse de Marseille. C’est ainsi que nous avons pu par exemple entreprendre plusieurs travaux immobiliers importants (maison diocésaine, rénovation de nombreux locaux paroissiaux et de cures, maisons d’accueil à Paray-le-Monial). Par ailleurs, j’ai tout de suite vu que la famille diocésaine se réunissait tous les 5 ans à Taizé pour nourrir les engagements de tous dans le domaine de la solidarité envers les exclus et les plus petits. Ce large rassemblement régulier des diocésains m’est apparu tout de suite comme un des points importants pour la communion missionnaire. Enfin, j’ai vite constaté le dynamisme des diacres permanents et le sérieux du discernement des nouveaux candidats au diaconat.
Vous êtes le 113ème évêque d’Autun. Comment ressentez-vous cette pression du passé ?
Le patrimoine historique religieux est considérable : prieurés clunisiens, églises romanes classées… On sent ici une continuité de la vie de l’Église qui a traversé les époques. Cette particularité donne aux chrétiens de ce diocèse une forme de fierté et de sérénité qui permet de prendre la bonne mesure de certains problèmes actuels. Nous avons des ancêtres sur lesquels nous appuyer, depuis fort longtemps. Les longs épiscopats qui caractérisent la vie de ce diocèse traduisent bien cette stabilité. Cela reste vrai jusqu’à une période récente : par exemple, depuis 1940, et avant moi, il n’y a eu que 3 évêques qui se sont succédés. Cette continuité, loin d’être un poids, me paraît une chance. Quant aux lieux patrimoniaux, ils sont davantage des lieux de passage nourrissants que des simples pierres mortes.
Quelles sont vos relations avec les élus locaux ?
Je dirais qu’elles sont bonnes, en grande partie grâce à mon prédécesseur, Mgr Séguy, qui connaissait bien les problèmes de la ruralité et avait noué de beaux contacts avec les maires. En octobre prochain, nous partirons en voyage à Rome avec une quarantaine d’élus du département dont deux députés..
Quelles sont à vos yeux les forces de ce département ?
Ce beau terroir de Bourgogne est extrêmement diversifié. Parmi les richesses agricoles, on peut évoquer entre autres : le poulet de Bresse classé en ACO, les vignobles réputés, l’élevage charolais, les exploitations forestières et les exploitations de polycultures. Quant à la tradition industrielle, symbolisée, entre autre, par la ville du Creusot, elle s’est énormément renouvelée avec une économie dominée par la technologie de pointe dans le domaine des aciers spéciaux (Arcelor Mittal Industeel), de l’énergie (Framatome), des transports (Alstom). Le pôle de Chalon-sur-Saône dispose également d’industries importantes et d’entreprises de haut niveau telles qu’AREVA. Michelin est présent à Blanzy, et les moteurs de camion Fiat sont fabriqués à Bourbon Lancy. Les emplois dans le rural et dans l’industrie sont en proportion plus importante que dans d’autres régions de France. Je pense que l’un des grands atouts de ce département, c’est d’être une terre de passage dotée de voies fluviales et d’un réseau routier important, auquel il faut ajouter trois gares TGV. On passe en Bourgogne quelques heures, voire quelques jours, et le département de Saône-et-Loire multiplie les efforts en faveur du tourisme et de la restauration.
Et si vous recensez les forces de votre diocèse ?
Les congrégations religieuses enseignantes ont été nombreuses et nous comptons encore 26 communautés apostoliques féminines. La vie contemplative y est également marquante avec sept monastères féminins. La communauté de Taizé est évidemment un pôle important de vie monastique qui rayonne dans le monde entier. Il existe par ailleurs dans ce diocèse un fort courant du catholicisme social héritier de grandes familles chrétiennes qui auraient pu s’occuper égoïstement de leurs affaires et de leur fortune, mais qui ont choisi, portées par leur foi chrétienne, de développer des œuvres sociales et hospitalières, tout en offrant de nombreux emplois industriels à une population non seulement locale mais aussi venant de l’étranger. S’agissant des prêtres, nous avons, comme ailleurs, la joie d’accueillir des prêtres Fidei Donum. Notre presbyterium reste pour une large part composé de vocations locales. Plusieurs prêtres de l’Emmanuel sont originaires du diocèse. En ce qui concerne les séminaristes et les jeunes qui entrent en propédeutique en septembre 2018-2019, tous, sauf un, viennent de familles de Saône-et-Loire. Je peux témoigner que se vit ici une belle histoire diocésaine servie par un presbyterium dynamique.
Dans les rêves et les projets que vous avez eus pour ce diocèse, lesquels avez-vous pu réaliser et d’autres pas encore ?
Je ne suis pas sûr d’avoir été un bon serviteur mais j’ai écouté, entendu des attentes fortes à mon arrivée, et tenté d’y répondre. J’ai d’abord cherché à être proche des prêtres, attentif à ce qu’ils vivent, attentif à ce qu’ils se rencontrent ; en particulier à travers la messe chrismale, la retraite sacerdotale, des journées d’amitié… Et il y a les jeunes ! Nous ne sommes pas un diocèse universitaire, mais il existe malgré tout des propositions de qualité auxquelles répondent un certain nombre de jeunes. Aux JMJ de Pologne, nous étions une délégation d’environ 120 participants !
J’ai également continué d’encourager le dialogue interreligieux, avec l’immense joie de voir se poursuivre les rencontres interreligieuses pour la paix au Carmel de Mazille. Je me réjouis d’ailleurs que beaucoup de communautés soient ouvertes à ce dialogue.
Naturellement, le synode diocésain qui vient de s’achever a été une grande aventure. Je l’avais souhaité car je sentais une certaine forme de découragement devant la difficulté de l’ensemble du corps visible de l’Église à se rendre auprès des personnes socialement en difficulté, une difficulté également d’échange entre des prêtres et des laïcs ayant des formations très diverses. Le synode aura déjà permis de mieux se connaître entre chrétiens du diocèse, de rapprocher les uns et les autres dans un dialogue revivifiant. Mon impression est que le synode a permis un élan, même si c’est difficile à mesurer. En tout cas, on n’entend plus certains propos désabusés ! En ce sens, il marquera pour le diocèse une forme d’allégement et de libération pour mieux reprendre ensemble la route derrière le Christ.
Vous avez consacré un projet pastoral pour le monde agricole. Pourquoi et comment va-t-il se déployer ?
Nous sentions que pesait sur de nombreux agriculteurs une grande solitude. De plus, de nombreuses petites exploitations sont en difficulté. C’est un monde qui souffre et qui a besoin de lieux de parole et d’évangélisation. Or on ne peut pas ressusciter les mouvements d’Action catholique comme la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) qui manque cruellement. C’est ce qui a motivé cet axe pastoral avec le souhait de créer des petites équipes bien repérables dont les membres pourront s’entraider, repérer les besoins, prier ensemble. Un prêtre, originaire d’une famille d’éleveurs, le Père Jean-Noël Devillard, accompagne ce projet. Pour ma part je pense faire en 2019 des visites pastorales démultipliées dans ce monde rural et aussi auprès des jeunes.
Taizé et les sanctuaires de Paray-le Monial confiés à la communauté de Emmanuel sont de hauts lieux spirituels de votre diocèse. En quoi irriguent-ils la vie des communautés chrétiennes ?
Les frères de Taizé sont bien insérés localement et ils participent à la vie du diocèse. Ils ne sont pas au-dessus ni à côté mais solidaires. Des frères participent régulièrement à telles ou telles instances ou réunions du diocèse. Dans la ville-sanctuaire de Paray-le-Monial qui rayonne très au-delà géographiquement et accueille nombre de pèlerins et de sessionnistes, vivent des paroissiens très dynamiques. Je pense en particulier à l’animation catéchétique et scolaire ainsi qu’aux enfants emmenés en juillet dernier au pèlerinage diocésain de Lourdes. Il y a une grâce du message du Sacré-Cœur dont toute l’Église bénéficie. On ressent à Paray une intériorité, un climat de recherche de la douceur évangélique. Du reste, de nombreux « chercheurs de sens » et des personnes souffrantes et des familles.., aiment venir en ce lieu où on est réconforté par l’humilité du Sauveur. En juillet dernier une session de l’OCH (Office Chrétien des Personnes Handicapées) s’y est tenue. Une merveille !
Et vous père, où vous rendez-vous pour prendre du recul ?
J’aime bien aller de temps en temps passer une journée dans un monastère et trois fois par an, je pars dans le massif du Mont-Blanc pour faire un peu de montagne. Je pense souvent à cette parole de l’évangile de Luc : « Ne passez pas de maison en maison ». Le ressourcement, j’essaie de le vivre dans mon propre cœur, au cours de n’importe quelle journée, pour peu que je sois simplement à ma place. Le lieu même de l’évêché, du fait de la beauté du paysage environnant et de l’ancienneté du bâtiment, est porteur d’équilibre.
Source : Riposte-catholique