Ce jeudi 7 juin, lors d’une conférence de presse à Genève, l’association Ending Clerical Abuse (ECA) a été présentée au public. Il s’agit d’une fédération d’associations de victimes d’abus sexuels, en contexte ecclésial, issus de 15 pays différents. ECA a demandé avec force que des actions concrètes de lutte contre les abus soient menés l’Eglise catholique.
« Mettez fin aux abus sexuels dans l’Eglise. Maintenant! » Le slogan a été scandé en même temps par les responsables des associations de victimes des 15 pays sur quatre continents, réunis au Club de la presse suisse, à Genève. Le but est, selon François Devaux, président de l’association française « La parole libérée« , de fédérer sur un plan international tous les acteurs de la lutte contre les abus sexuels sur mineurs perpétrés dans un contexte ecclésial. Lors de la conférence de presse, l’ECA, a exigé du Vatican qu’il mette en place des « actions concrètes » de lutte contre « l’épidémie » des abus sexuels dans l’Eglise catholique.
Les activistes voulaient profiter de la visite du pape à Genève, le 21 juin prochain, pour demander qu’il créée un mécanisme central, un « tribunal », permettant de condamner les évêques coupables de dissimulation d’abus. Ils requièrent également du pontife qu’il lance des enquêtes contre tous les évêques dans le monde soupçonnés d’avoir mal géré des cas d’agressions.
De l’Equateur au Chili, en passant par les Etats-Unis et la Suisse, les représentants des associations sont passés chacun leur tour à la tribune munis de leur drapeau national. Ils ont présenté un grief particulier à leur pays dans le domaine de la gestion des abus sexuels dans l’Eglise. Ils n’ont pas hésité, le plus souvent, à pointer nommément un évêque ayant couvert ce type d’agissements, photo à l’appui… Le représentant chilien a ainsi évoqué le cas très médiatisé de Mgr Juan Barros, évêque d’Osorno, qui aurait omis de dénoncer les actes pédophiles d’un prêtre.
La Commission de protection des mineurs pointée du doigt
Des personnalités internationales engagées de la lutte contre les abus sexuels dans l’Eglise étaient présentes pour soutenir la création de l’ECA. L’une des plus connues était Peter Saunders. Le Britannique, lui-même victime d’abus par un prêtre, est un ancien membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs (CPPM). Il a quitté le groupe en 2016, estimant que le Saint-Siège n’avait pas de réelle volonté de progresser. A Genève, il a réitéré ses critiques contre la CPPM, évoquant ce qu’il estime être le manque d’indépendance de la Commission.
Le dossier chilien a été au centre de la conférence de presse. Sur demande du pape François, tous les évêques du pays ont présenté fin mai 2018 leur démission. Ils sont accusés d’inaction contre un système généralisé de dissimulation d’abus sexuels au sein du clergé. On ne sait pas encore si le pape acceptera le départ en bloc de l’épiscopat chilien ou s’il décidera de juger au cas par cas. L’ECA exige l’acceptation de toutes les démissions.
Le geste inédit et spectaculaire du pape a été néanmoins été vu comme un signe encourageant par plusieurs personnalités présentes, notamment José Murillo. Victime du prêtre pédophile Fernando Karadima, il est le chef de file du mouvement de l’opposition à Mgr Barros. Il a également rencontré le pape à Rome, en mai 2018, sur invitation de ce dernier. Après les deux heures de discussion avec le pontife, il considère que ce dernier est « incroyablement engagé » dans la lutte contre la pédophilie. Il pense néanmoins que la réelle motivation du pape doit se manifester dans des mesures concrètes.
Une préoccupation exprimée par la plupart des autres intervenants. Anne Barret Doyle, co-directrice de l’organisation « BishopAccountability.org » (responsabilité des évêques) a qualifié la démission en bloc des évêques chiliens de geste « historique ». Reconnaissant également le « Jamais plus » du pape François, ainsi que sa reconnaissance d’une « culture de l’abus sexuel » dans l’Eglise chilienne comme un « signe d’espoir ».
« Systèmes généralisés d’abus »
Elle a cependant déploré la prétendue faiblesse générale de la réponse du Vatican aux abus. Elle a notamment estimé que le Motu proprio publié par le pontife en juin 2016, intitulé « Comme une mère aimante » était insuffisant, car « trop vague » et pas assez contraignant. Elle a abondé dans le sens des autres membres de l’ECA, qui considèrent que seul un tribunal interne au Saint-Siège mais composé de personnes externes à l’Eglise serait à même de mettre les évêques déviants face à leurs responsabilités.
Et si l’Américaine a reconnu les progrès de la lutte menée par l’Eglise contre les abus sexuels dans certains endroits du globe, elle a estimé que, dans de nombreux pays, notamment d’Afrique et d’Asie, des « systèmes généralisés d’abus sur mineurs » étaient encore bien en place. « L’ECA entend être la voix de toutes ces victimes qui ne peuvent pas s’exprimer« , a-t-elle lancé.
Mgr Van Looy interpellé
Ending Clergy Abuse a également interpellé l’évêque de Gand, Mgr Luc Van Looy, soupçonné de ne pas avoir agi assez fermement contre un certain Omer V., qui a été missionnaire au Zaïre – l’actuelle République démocratique du Congo – dans les années 1980. Il aurait abusé de plusieurs garçons. ECA a expressément demandé au pape de faire réaliser une enquête sur la responsabilité éventuelle de Mgr Van Looy.
L’actuel évêque de Gand n’aurait pas empêché Omer V. de poursuivre ses déplacements jusqu’en Afrique. « Nous voulons qu’une enquête ait lieu pour voir si, selon le pape François, il a fait assez afin de protéger les enfants » a expliqué Anne Garett, membre de ECA.
Du côté du diocèse de Gand, on précise qu’il s’agit « d’un dossier avec des faits graves qui datent du passé« . Mais le diocèse souligne aussi avec fermeté que « l’évêque a à plusieurs reprises interdit, tant par écrit qu’oralement, à cet homme de voyager en Afrique. D’après les faits, il apparait qu’il n’a pas respecté cette interdiction plusieurs fois. Entre-temps, nous avons appris qu’il a été signalé comme persona non grata au Rwanda. »
Le diocèse de Gand précise encore que le dossier de Omer V. a été transmis à Rome, et que Mgr Van Looy a demandé à plusieurs reprises sa réduction à l’état laïc, jusqu’ici sans succès.