FIGAROVOX/TRIBUNE – Plusieurs églises ont récemment fait l’objet de dégradations, certaines ont même été profanées. Pour Anne-Sophie Chazaud, l’indignation médiatique et politique est sélective.
Anne-Sophie Chazaud est philosophe, haut-fonctionnaire et auteur d’un livre à paraître consacré à la liberté d’expression.
Par-delà les grands émois idéologiques et leur opportune instrumentalisation, les faits concernant les actes antireligieux sont clairs et les chiffres parlants: l’antisémitisme connaît un sinistre regain avec notamment le triste record des attaques violentes et tentatives d’homicides. Concernant les actes visant des édifices religieux, ce sont les lieux chrétiens et notamment catholiques qui représentent la très écrasante majorité des sites attaqués, même si l’Église a aussi payé le prix du sang face à l’islamisme avec l’odieux assassinat du Père Hamel en 2016.
En 2017, sur 978 lieux de culte attaqués, 878 étaient chrétiens. Ce chiffre vertigineux n’a pourtant pas jusqu’ici suscité d’indignation officielle à la hauteur du phénomène. Une prise de conscience est peut-être à l’œuvre, mais il faudra un peu plus que des déclarations concédées de guerre lasse par quelques membres de l’exécutif. Reste que le silence médiatique est à peine rompu depuis quelques jours par certains articles dans les médias généralistes qui semblent tout de même disposés à ouvrir les yeux sur le problème à la faveur d’une vague d’attaques hors du commun (Dijon, Lavaur, Houilles, Maisons-Lafitte, Nîmes en moins de huit jours…). Sur l’échiquier politique, la droite jusqu’ici pétrifiée à l’idée d’apparaître comme ringarde et traditionnaliste ou à la remorque de la Manif pour tous, une droite culpabilisée sur les questions sociétales, a enfin décidé de s’emparer de la question dans le débat public, sous l’impulsion par exemple du patron des Républicains Laurent Wauquiez mais aussi du Rassemblement National et de Debout la France.
Il y a plusieurs raisons à ce silence relatif.
Les catholiques tout d’abord sont réticents à se percevoir comme une communauté parmi d’autres communautés ou comme une minorité victime, au même titre que d’autres minorités, d’une quelconque «phobie». Dans le grand catalogue de la société victimaire, dans cette vaste «cage aux phobes» raillée par Philippe Muray et qui compose trop souvent la société post-moderne dans ses revendications atomisées, les catholiques ne se sentent pas à leur aise, eux qui, traditionnellement et idéologiquement s’accommodent assez mal du gauchisme culturel dont parle Jean-Pierre Le Goff, enfantant des minorités victimaires à tour de bras. Cela reviendrait par ailleurs à acter implicitement le fait que le catholicisme serait devenu minoritaire en France, ce qui, là encore, semble difficile à admettre sur le plan culturel bien qu’incontestable sur le plan de la pratique active de la religion. Le christianisme et plus spécifiquement le catholicisme enfin se pensent dans l’universalisme et peinent par conséquent à s’éprouver de manière communautarisée.
Et, lorsque les catholiques s’acceptent comme minorité visée par une «phobie», ce qui a été récemment souligné par l’usage contesté du terme de «christianophobie» par exemple par Laurent Wauquiez ou par le conservateur «Observatoire de la christianophobie» qui opère une veille permanente des actes antichrétiens en France, c’est alors trop souvent (il suffit d’assister à une messe pour s’en convaincre) pour renouer avec le goût du martyre caractéristique des sociétés opprimées de premiers chrétiens. Beaucoup soulignent en effet à juste titre que la situation réelle du christianisme en France est plus proche de celle des premiers temps du christianisme que de l’époque médiévale où celui-ci régnait glorieusement: des temps de clandestinité, de résistance passive à l’agresseur, de martyres et d’une souffrance en quelque sorte initiatrice et révélatrice du message vivant du Christ. Si bien que même lorsqu’il se perçoit comme «cible» minoritaire, le christianisme y voit un sens qui n’est pas contraire au message évangélique dont il est porteur mais qui bien au contraire en rend possible l’avènement, en l’occurrence celui du pardon et de l’amour. Difficile, au sein de cette matrice, de pourfendre avec virulence ses bourreaux qui alors, à bien y réfléchir, sont les outils indispensables de la révélation christique: sans bourreaux, Jésus ne devient pas le Christ et alors l’Église ne peut advenir en tant que telle.
On comprend que ces différentes raisons inhérentes au monde chrétien et catholique rendent difficile la mise en place d’une lutte efficace, bruyante et fortement structurée selon un modèle communautarisé revendicatif. On peut enfin ajouter à cela une forme de pudibonderie, de crainte de «jeter de l’huile sur le feu» (assez proche de ce point de vue de celle qui anime la pensée gauchiste à chaque lendemain d’attentat) en dénonçant les actes de vandalisme avec trop de virulence, ce qui explique également la grande discrétion de la Conférence des évêques de France sur cette question. L’époque n’est manifestement plus aux moines-soldats.
Une autre difficulté tient au contexte français spécifique. Si le pays s’est largement déchristianisé, à la faveur d’une construction républicaine laïque «de combat» mais aussi en raison de la déchristianisation propre au monde occidental dans son ensemble, l’Église catholique continue d’être perçue à tort comme plus puissante qu’elle n’est. Les combattants de la laïcité, si prompts à dénoncer les actes antisémites ou anti-musulmans, sont particulièrement mutiques concernant les actes antichrétiens: le vieux fond bouffe-curé, résurgence du radical-socialisme souvent maçonnique de la IIIème République, semble fréquemment plus fort que l’impartialité et l’objectivité qui seraient requises en la matière. Ce monde militant, qui a tendance à considérer que l’Histoire de France n’a commencé qu’en 1789, est allergique à l’idée pourtant historiquement incontestable de «racines chrétiennes» de la France et de l’Europe. On se souvient d’ailleurs que cette notion avait fait l’objet d’un débat houleux au moment de l’élaboration du Traité Constitutionnel européen de 2005, l’allusion explicite aux «racines chrétiennes de l’Europe» ayant finalement été abandonnée, ce qui a sans doute compté dans le vote «non» de nombreux électeurs et comme l’une des toutes premières expressions politiques de l’insécurité culturelle. Il existe un réel sectarisme antichrétien dans les milieux du républicanisme engagé, d’autant que ces cercles sont idéologiquement marqués à gauche, ce qui les éloigne aussi du monde catholique habituellement plus ancré à droite (encore que le catholicisme social se soit de nouveau fait entendre à l’occasion par exemple du mouvement des «gilets jaunes»). Le soutien ne viendra donc pas des républicains de gauche qui ont par ailleurs besoin de pourfendre le christianisme afin de donner des gages de non-fascisme à ceux qui, sur leur gauche, les accusent d’islamophobie.
Le gauchisme enfin, paradoxalement assez proche parfois du message évangélique (que l’on songe par exemple au discours du Pape François sur l’accueil des migrants et d’une façon générale à la critique catholique du matérialisme), a beaucoup de mal à supporter le discours de l’Église sur les questions sociétales et de mœurs, ce que les scandales de pédophilie n’ont évidemment pas arrangé. Par ailleurs, s’en prendre aux lieux chrétiens, c’est un peu combattre un aspect identitaire fort de la France (ne dit-on pas «remettre l’église au centre du village» lorsqu’on veut remettre les choses à leur juste place?). Et l’on sait combien le gauchisme rejette la notion d’identité, en tout cas lorsqu’il s’agit du pays accueillant, les minorités accueillies ayant elles, dans cette représentation, bizarrement vocation à faire valoir la leur. Tout se passe comme si, pour devenir plus «inclusive» (et non assimilatrice), la France devait abraser toutes les formes antérieures de sa propre identité dont l’un des marqueurs historiques forts est le christianisme. Notons que cet aspect antichrétien se fonde sur la conviction de l’importance et du poids de l’héritage historique et civilisationnel en question, celui-là même qui est nié par les laïcistes de combat.
L’exécutif n’a quant à lui pas grand-chose à gagner à défendre le christianisme contre les attaques qu’il subit, même si le discours d’Emmanuel Macron aux évêques de France était relativement courageux – bien qu’ouvrant dangereusement la possibilité à un entrisme de l’islam politique. L’instrumentalisation actuelle de la lutte contre l’antisémitisme prend place dans un contexte où il s’agit de diaboliser les «gilets jaunes», quitte à les accuser sans preuve de tout et de n’importe quoi. Personne n’a vu qui a tagué le magasin Bagelstein ni qui a tagué le portrait de Simone Veil, mais les déclarations de l’exécutif font peser la faute sans équivoque sur leurs opposants depuis de nombreuses semaines. Tout en feignant de ne pas voir, comme l’a par exemple abondamment dénoncé Georges Bensoussan, que depuis des années la cause de l’antisémitisme se trouve très majoritairement du côté de l’islam politique et des territoires perdus de la République. Ce nouvel antisémitisme, qui n’est finalement plus très nouveau, semble donc avoir encore de beaux jours devant lui.
Combattre l’antisémitisme supposé des méchants populistes factieux rapporte en revanche un gain politique et idéologique immédiat. Combattre l’islamophobie supposée du même peuple de Gaulois réfractaires permet d’engranger le même bénéfice. Que rapporterait la défense du monde chrétien contre les attaques multifactorielles qu’il subit?
Source: LE FIGARO