Alors que les obus de mortiers et les roquettes tirées depuis les zones rebelles de la Ghouta orientale continuent de s’abattre sur le quartier de Bab Touma, à Damas, et sur la zone d’Abassiyine, la communauté chrétienne de la capitale syrienne s’étiole, déplore Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas. De son côté, Caritas Syrie déplore que les médias occidentaux ne parlent que des bombardements gouvernementaux.
A Damas, peut-on lire dans son message de carême publié par l’Œuvre d’Orient à Paris, « la construction ecclésiale s’effondre doucement… » « Sommes-nous en train de tourner la page ? », se demande le prélat maronite dans son message de carême. Et de relever qu’en 2017, au sein de sa communauté, seuls 10 mariages ont été célébrés contre 30 l’année précédente, et 7 baptêmes au lieu de 40.
Bombardements aveugles
« Avec les obus aveugles qui tuent les innocents chaque jour, nous continuons à vivre en sursis entre les mains de la Providence, s’appuyant sur la voix du Seigneur qui nous dit: ‘N’aie pas peur petit troupeau’ Luc 12,22 ».
Cette septième année de guerre en Syrie a vu l’intensité des combats et des violences, qui n’ensanglantent pas seulement la zone rebelle de la Ghouta orientale, sur laquelle se concentre l’attention médiatique. L’exode se poursuit partout à un rythme plus rapide, surtout parmi les jeunes et les hommes, ce qui provoque une pénurie aiguë de main d’œuvre. La crise sociale, l’inflation et le blocus font des Syriens qui restent « un peuple pauvre qui vit sur l’assistanat et la mendicité », écrit-il dans son message de carême.
« 60% des blessés meurent par manque de soins »
Mgr Samir Nassar révèle que 80% du corps médical a quitté le pays, dont 90% de médecins. « 60% des blessés meurent par manque de soins…La solution de paix reste lointaine même bloquée. Les 12 millions de réfugiés ne sont pas plus malheureux que le reste du peuple syrien abandonné sur place ».
Devant cette situation douloureuse, l’action caritative, au lieu de se développer, ne cesse de reculer par manque de structures et d’agents sociaux bien formés. Ainsi le nombre des familles assistées par l’Eglise en 2017 se limite à 828 familles contre 1407 en 2016… « Combien seront-elles en 2018 ? », se demande-t-il.
« Ce recul rapide ne nous laisse pas souffler, la situation se dégrade chaque jour et les partants se défilent devant nos yeux sans pouvoir les retenir ni leur dire au revoir. Un déchirement intérieur très angoissant nous habite », se désole-t-il.
« Lors de mon installation à Damas en décembre 2006, conclut Mgr Samir Nassar, un prêtre du diocèse me disait: seras-tu le dernier évêque [maronite] de Damas ? Trouveras-tu quelqu’un à qui remettre la clé de la cathédrale ? Regardant l’exemple irakien, j’ai peur que son intuition soit vraie… »
Des quartiers chrétiens visés
Caritas Syrie déplore que « la plupart des reportages journalistiques se concentrent sur les frappes aériennes faites par la Syrie et la Russie sur l’est de la Ghouta. Inversement, peu d’informations sont rapportées concernant la situation à Damas, ville qui est pourtant sous attaque d’obus de mortier depuis le début de 2018”.
“Certains quartiers de Damas [dans le secteur gouvernemental] sont attaqués aux obus de mortier depuis le 22 janvier, spécialement les quartiers de Bab Touma, Abbassyin, Kassaa, Koussour et Jaramana”, faisant plusieurs dizaines de morts, indique encore Caritas Syrie. La majeure partie des chrétiens de Damas vit dans sa banlieue est, et l’on y trouve également la majorité des couvents, monastères et des œuvres d’entraide catholiques de la ville.
Des centaines d’obus de mortier, en provenance des zones sous contrôle de milices djihadistes takfiristes, dont Jaïsh al-Islam, une milice wahhabite financée par l’Arabie saoudite, le Front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda en Syrie, rebaptisé Front Fatah al-Cham, et Ahrar al-Cham, s’abattent régulièrement sur ces quartiers.
Contactée par l’œuvre pontificale Aide à l’Eglise en Détresse (AED), Sœur Annie Demerjian, de la Congrégation de Jésus et de Marie, vivant à Damas, décrit ce que vit cette zone de Damas. “J’ai vu des gens prendre leurs enfants et courir. Une roquette est tombée sur le toit de la maison du patriarche située tout près. Je ne sais pas pourquoi, mais elle n’a pas explosé. Si cela était arrivé, nous aurions pu être tués”, commente la religieuse. Elle raconte que les fenêtres de l’hôtellerie pour étudiants où elle travaille ont tremblé à cause des bombes. Les étudiants ont trouvé refuge dans la sécurité relative des corridors.
“Mardi, c’était comme l’enfer”
“Mardi (20 février), c’était comme l’enfer. Il pleuvait des bombes. Il y avait tellement d’obus et tant de personnes ont été blessées”. Sœur Annie indique que plusieurs écoles ont fermé leurs portes même si ce n’est pas une période de vacances officielles. “Nous devons continuer. La vie est plus forte que la mort”, confie-t-elle à l’AED. “Nous ne savons pas combien de temps cette violence va continuer, mais ça ne peut pas durer toujours. Le Seigneur a été bon avec nous. Jusqu’à maintenant, aucune de nos religieuses n’a été blessée, mais tant d’autres ont souffert. S’il vous plaît, priez pour nous. La seule voie possible pour nous est la prière”.
Appel au cessez-le-feu
Selon le ministère russe de la Défense, les rebelles et les djihadistes de la Ghouta orientale – Jaysh al-Islam, Jabhat al-Nosra, Ahrar al-Cham, Faylaq al-Rahmane et Liwa Fajr al-Oumma – se seraient rassemblés dans un centre de commandement unique.
Samedi soir 24 février, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution sur un cessez-le-feu en Syrie, qui réclame que « toutes les parties cessent les hostilités sans délai pour au moins trente jours consécutifs en Syrie pour une pause humanitaire durable ». Et hier, 26 février, Vladimir Poutine a déclaré qu’une trêve humanitaire quotidienne devait être imposée dans la Ghouta orientale à partir du 27 février, entre 9h et 14h.