Dans une lettre du 8 septembre 2016, Mgr Lebrun, archevêque de Rouen, avait invité les divorcés remariés à venir célébrer avec lui les vêpres de la Toussaint, à la cathédrale. Une initiative publique qui est la reprise plus ouverte de celle qu’il avait déjà initiée lorsqu’il était évêque de Saint-Etienne.
Une invitation sereine qui se voulait une simple main tendue vers cette part importante de fidèles catholiques en situation matrimoniale délicate. C’est du reste le regret du primat de Normandie que de constater que des fidèles se sentent rejetés par l’Eglise. Et c’est une blessure que vivent cuisamment nombre de catholiques concernés. Si en effet certains subissent cette discipline ecclésiale sans comprendre le fondement théologique qui l’anime, d’autres en revanche tentent de vivre, comme ils peuvent bien souvent,et avec une grande sainteté et humilité, ce qui demeure une croix.
La pastorale des divorcés/remariés est, il faut bien le dire, truffée de pièges. Le premier d’entre eux est peut-être d’avoir institué une pastorale spécifique qui, à mon sens, contribue à stigmatiser la question. A y regarder de plus près, il s’agit d’une situation délicate parmi d’autres, de nombreuses autres. Elle pose fondamentalement la question du rapport du fidèle à la communion eucharistique. Si certaines situations durables de péché empêchent de pouvoir communier du fait même de la contradiction que porte cet oxymore communion/péché, il faut garder à l’esprit ce qu’est le péché et en quoi les divorcés remariés sont en situation de péché.
Cela suppose de ne pas avoir peur de parler du péché et surtout de ses conséquences. Le fait d’être divorcé et remarié n’est qu’une des multiples situations de péché qui empêchent la communion eucharistique, parce que tout simplement elle brise la communion tout court. Aussi, faire des divorcés remariés un “corps à part de pécheurs” est peut-être une erreur. Il faut resituer le péché dans son lien avec la communion et surtout commencer par expliquer en quoi cette rupture du lien sacramentel est un péché. La communion n’est pas un dû, elle est avant tout une cohérence de vie intérieure. Plusieurs personnes se sentent ainsi “rejetées, exclues” par l’Eglise. Il faut voir que c’est l’inverse qui se passe, comme pour tout péché. La rupture n’est pas le fait de Dieu, ni de l’Eglise, mais de l’acte peccamineux qui agit comme un sécateur. D’où la délicate question du discernement des responsabilités.
La difficulté que pose la situation de divorcé remarié, par rapport à d’autres péchés peut-être plus graves, c’est qu’elle est visible. Si le pécheur est souvent seul face à sa conscience dans sa démarche de communion, les divorcés remariés, eux, portent aux yeux de tous leur séparation. Et ils deviennent alors cause de scandale, au sens où saint Paul l’entend. C’est à dire qu’ils manifestent la déchirure entre communion et péché. Ils deviennent visiblement ce qu’autrefois nous appelions, de façon violente, un pécheur public.
L’expression même de divorcé remarié porte à confusion et n’aide pas à pacifier cette violence que contient cette visibilité sociale d’un couple recomposé. En rigueur de terme, du point de vue de l’Eglise, il n’y a pas de divorce, mais seulement trois cas de figures. Un mariage validement contracté et consommé qui se vit quotidiennement. Un mariage validement consacré et consommé qui ne peut plus se vivre dans l’union des corps ou au même foyer pour de multiples raisons reconnues légitimes (comme la sécurité des personnes par exemple) et qui dans ce cas obtient une séparation des corps. Il ne s’agit pas d’un divorce ni d’une reconnaissance de nullité de mariage. Les époux restent mariés, mais vivent séparément. Il leur est donc impossible de se marier à nouveau. Enfin, la nullité de mariage constate que l’union des deux époux était factice et donc qu’il n’y a jamais eu de mariage. Les personnes peuvent donc se marier et non se remarier puisqu’il n’y a jamais eu de mariage.
Aussi l’expression divorcés remariés est, du point de vue de l’Eglise, impropre. Il y a séparation et vie commune. Il s’agit donc de personnes séparées vivant en couple. Outre que les termes sont moins violents, ils traduisent plus exactement la vérité vécue par les personnes et met en lumière en quoi cette séparation d’une union contractée validement devant Dieu est une rupture vis à vis de Dieu et pas seulement du conjoint.
Que Dieu ne nous enferme pas dans un péché est une réalité qui ne nie pas la vérité de chaque situation. Le chemin à parcourir pour demeurer avec Dieu est donc autre et, comme y invite Amoris laetita, il faut “oser des chemins singuliers” qui puissent permettre aux fidèles en situation délicate, que ce soit matrimoniale ou autre, de demeurer près de Dieu, malgré la rupture du péché. L’objectif étant bien entendu de pouvoir retrouver la pleine communion et non de réduire la communion eucharistique à un dû.
C’est bien ce qu’a fait Mgr Lebrun dans un célébration hautement symbolique à laquelle participaient 600 personnes. Les vêpres sont un office liturgique qui, ne comprenant pas la communion eucharistique, ne pose aucun problème particulier, le respect de la forme liturgique étant sauf. Ce qui est une tout autre question.
Que le journal La Croix dépêche un envoyé spécial et titre “une porte s’ouvre” nous paraît plus gênant quant à la récupération idéologique de l’événement. Car Mgr Lebrun n’a rien fait de nouveau, sinon tendre la main, proposant aux fidèles concernés par cette situation complexe quelque chose d’absolument ordinaire dans l’Eglise.
L’archevêque de Rouen a voulu apaiser des blessures, et non pas ouvrir une porte, mais montrer la porte déjà ouverte. C’est du reste semble-t-il l’objet de la mission de ses 7 missionnaires de la miséricorde.
Des prêtres sont chargés d’accueillir « spécialement » les personnes divorcées vivant une nouvelle union afin qu’elles puissent « examiner en toute discrétion leur conscience grâce à la Parole de Dieu ». « Les missionnaires les écouteront et les interrogeront, afin de discerner et voir quel chemin accomplir avec leur communauté paroissiale », précise l’archevêque. Amoris laetitia envisage en effet que « ce discernement permette de recevoir les sacrements, s’il n’y a pas de faute grave et lorsque des “conditionnements” ou des “circonstances” atténuent la responsabilité ».
Evidemment c’est ce dernier point qui théologiquement pose de lourdes questions et a ouvert une violente polémique, tant la pente est savonneuse.